Delphine Horvilleur : comment capter l’attention ?
Récemment, je me suis plongée dans l’univers du judaïsme pour travailler un petit rôle au théâtre. J’ai rencontré plusieurs pratiquants et appris énormément. En échangeant avec eux sur la Pâques juive qui s’appelle Pessah, j’ai remarqué des points communs entre cette fête et…la prise de parole en public. Et c’est finalement en écoutant madame le rabbin Delphine Horvilleur parler de la soirée de Pessah que j’ai écrit cet article.
Je ne sais pas vraiment combien de temps la soirée de Pessah dure – cela dépend évidemment des familles (chacun ses rites), mais une question fatale s’impose dans pratiquement toutes les familles. Comment retenir l’attention des enfants pendant cette loooongue soirée ?
Voici 4 moyens qu’on utilise aussi directement en prise de parole, pour capter l’attention d’un public.
Tips 1 – Créer l’identification : “ça pourrait être moi”
Il y a un moyen pour capter les enfants, comme dans les films. C’est de susciter l’identification.
Il faut qu’ils aient l’impression que c’est LEUR histoire. Et c’est là l’une des forces du texte utilisé pour la soirée de la Pâque juive : ce texte s’appelle la Haggada. Pour créer l’identification dans la Hagadda, le passé et le présent s’entremêlent.
Le texte emploie l’imparfait, il parle des ancêtres et de l’Egypte…Jusque-là tout va bien.Et tout d’un coup, le texte bascule et continue l’histoire en introduisant le pronom “nous” : “Nous nous sommes mis en route…”.
On peut imaginer que c’est une technique pour lier les générations entre-elles. Mais le résultat est là : l’enfant devient acteur de l’histoire, il se l’approprie.
Insérer du présent pour parler d’un fait passé et introduire le pronom “NOUS” sont deux moyens utilisés pour engager une audience en prise de parole.
D’ailleurs, en comparaison avec un adulte, l’enfant est plus facilement envahi par les émotions d’une histoire grâce à ses neurones miroirs très actifs. Les émotions sont contagieuses et il se projette facilement.
Tips 2 – Les questions
C’est la blague d’un rabbin qui court partout sur les collines de Jérusalem en hurlant “OHÉ, j’ai les réponses, j’ai les réponses, j’ai réponses !!! Qui a les questions ???”
C’est fou de voir à quel point la soirée de Pessah est construite sur…le questionnement.
Pour lancer la soirée, les enfants chantent une prière (le Ma Nishtana). Cette prière est une série de questions : pourquoi ne mange-t-on que des pains azymes ? pourquoi mange-t-on des herbes amères ?… Traditionnellement, on ne peut pas commencer la prière si les enfants ne posent pas de question.
Pourquoi ces questions ? Sûrement pour ne pas imposer la prière aux enfants. L’objectif est de susciter la curiosité et le désir chez eux. Sans désir, on foncerait dans le rite, comme un pilote automatique sur sa route, et les enfants seraient passifs. Tel des mollusques attendant l’heure de passer à table.
Je pense à l’ancienne journaliste de France 2 et surtout désormais rabbine Delphine Horvilleur (que j’ai récemment découvert et qui est une oratrice incroyable). Quelle créativité pour mobiliser l’attention des enfants !
Par exemple, Delphine suggère de demander aux enfants à quoi ressemblerait leur esclavage à eux ! Quel serait le visage de leur pharaon ? Elle propose de préparer un sac pour fuir d’Egypte ! Qu’emmènent-ils dans leur eastpak ? Et s’ils devaient rédiger un discours pour motiver les hébreux à partir avec eux, quel serait ce discours ?
C’est une autre façon ludique d’engager les enfants dans la soirée.
Une femme rabbine à la une du Elle, ça claque !
Tips 3 – Créer la tension dramatique
Il y a une tension dramatique qui ne cesse d’être renouvelée.
Par exemple, si les enfants posent des questions… on ne va pas y répondre tout de suite. D’ailleurs, une question qui revient sans cesse dans la bouche des enfants est : “quand est-ce qu’on mange ?”. Le repas a lieu tard, et ça aussi créé une attente (l’attente de l’estomac).
On met le plat sur la table et PUIS (hop) on le retire aussitôt. On sert un verre de vin etttt, non oh non, on ne le boit pas tout de suite. On cache un bout de pain azyme dans la maison et les enfants n’iront le chercher qu’à la fin du dîner..
C’est exactement comme un scénario de film. Comme le dit le réalisateur Luis Buñuel, le scénario ne doit jamais ennuyer le lecteur :
« L’essentiel est l’intérêt entretenu par une bonne progression, qui ne laisse pas un instant en repos l’attention des spectateurs ».
L’ennui est l’ennemi du scénario ; la tension dramatique doit-être constante (mais non permanente) et graduelle.
Tips 4 – Stimuler l’imaginaire
Les prières de Pessah font appel à tous les sens.
C’est une expérience sensorielle qui se joue autour de la table, ou tout se goûte, se chante, se déguste.. Sur la table on trouve du pain azyme, des herbes amères, de l’oeuf, un os d’agneau grillé, du persil, de l’eau salée, une étrange compote (composée de pomme, d’amande, de dattes, de vin…). Et chaque aliment raconte une histoire.
Au sens large, l’imagination est la faculté que possède l’esprit de se représenter des images. C’est par l’imagination que les mots deviennent pour nous des choses concrètes et vivantes.
L’un des moyens de créer ces images en prise de parole est l’usage des métaphores et des comparaisons. D’ailleurs la rabbine Delphine Horvilleur compare la Pâques juive à un énorme “escape-game” (c’est une comparaison). Elle rapproche les 15 étapes à traverser (les 15 prières de la soirée) à 15 salles secrètes où chacun pourra enquêter au fur et à mesure et résoudre les énigmes de la religion…